Cercle des ouvriers
Un petit poème en attendant le lancement du nouveau conte...
Merci à notre auteur
Le cercle des ouvriers disparus
J’ai rêvé que je prenais mon baluchon
Et partais sur les routes avec les Compagnons.
Je voulais apprendre plusieurs métiers
Et me voyais déjà charpentier.
Je faisais glisser le copeau
Sur le fer difficile du ciseau
Que j’avais forgé et affûté moi-même.
Je sentais le parfum du bois, caressais ses veines,
Escaladais la charpente usagée d’un clocher,
Assemblais des tenons, y glissais des chevilles ajustées,
Voyais passer entre les poutres enchevêtrées
Des prières secrètes s’élevant vers le Ciel.
Alors je me suis réveillé.
A quoi cela m’aurait-il avancé,
Puisque les poutres, maintenant, sont en béton vibré ?
A quoi cela m’aurait-il servi d’apprendre à forger un outil
Que l’on achète souvent, sans se soucier du prix ?
C’était juste pour posséder un savoir-faire
Utile à un épanouissement dans ce domaine
Ou dans un autre, si le destin m’y mène.
C’était juste pour me servir de mes mains lestes,
Manipuler l’objet, caresser la matière,
Façonner et assembler, maîtriser le geste,
Avec ses seuls doigts le non-voyant sait le faire,
Car hormis son cœur, c’est tout ce qui lui reste.
« Longtemps, longtemps, longtemps
Après que les ouvriers ont disparu… »
Sera peut-être une chanson d’un prochain siècle ?
Qu’adviendra-t-il alors des mots : menuisier, ébéniste, horloger,
Apiculteur, éleveur, fromager,
Souffleur de verre, forgeron, vitrier…
Alors que, déjà, certains de ces métiers
Ne se produisent plus que dans les fêtes de village ?
Mais longtemps, longtemps, très longtemps
Après que les ouvriers auront disparu vraiment,
Un homme survivant d’un cataclysme qu’il n’aura pas voulu,
Trouvera dans les débris un petit objet charmant.
Il constatera que c’est un petit cœur sculpté et ciselé
Par des mains d’une habileté qui n’existe plus,
Dans du très dur et difficile bois de hêtre,
Cet arbre qui n’existe plus, non plus.
En regardant de plus près ce petit cœur gracile,
Il y verra gravé des initiales,
Une date très ancienne : « 2000 »
Et une inscription révolue :
Francis Creg